Derrière le portrait

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Spectacles

Star du grand et du petit écran, on l’a aperçu récemment dans les « Nouvelles Aventures de Sabrina » en barman blasé. A plus de cent vingt ans, ce héros narcissique et dérangeant fascine toujours autant. Dernièrement, c’est la compagnie des Framboisiers qui l’invoque au Théâtre de l’Orme, dans son adaptation du « Portrait de Dorian Gray ».

L’aventure entre ce dandy d’anthologie et les Framboisiers commence en 2012. Mine de rien, elle les emmènera jusqu’en Avignon. Imago, metteur en scène de cette adaptation, découvre le personnage un peu plus tôt et reste marqué par son esprit. « Ce qui me plaît chez lui, c’est son idéal poussé à l’extrême, explique-t-il. Il n’accepte pas la mort, ce qui est déjà assez intense, mais il n’accepte pas non plus de vieillir.»

Imago incarnant Lord Henry.

Imago, en Lord Henry. © Julia Huber

L’histoire de Dorian Gray ne part pas si mal. Le jeune premier, a priori sympathique, fait la rencontre d’un artiste, Basil, qui se prends de passion pour sa beauté. Le peintre souhaiterait même réaliser son portrait. La demande est innocente mais sera lourde de conséquences. Si Dorian Gray est soufflé par le résultat, ce portrait flatte surtout son ego. Il suffira des remarques d’un aristocrate curieux pour qu’il s’enflamme. Sa beauté ne durera pas, contrairement à celle de son portrait. Pourtant Dorian Gray donnerait cher pour que les forces s’inversent.

Fou à lier ou narcissique pathologique ?

Du haut de ses cent vingt-huit ans, le personnage d’Oscar Wilde a été étudié sous plusieurs angles. Le plus célèbre étant certainement celui d’unité de mesure de notre vanité. Qui ne perds pas de son à-propos, d’après Imago. « Ne pas accepter ses défauts, ne plus vouloir les regarder en face, c’est un peu caractéristique de notre époque », considère-t-il, avant de souligner notre pratique assidue de la mise en scène en ligne.

Autre interprétation répandue, celle du cas psychologique. J’ai d’ailleurs quitté la pièce avec l’impression d’avoir observé un homme perdre pieds avec la réalité, par paliers, aveuglé par une obsession qui le rends fou. Associant le portrait à l’expression d’une personnalité alternative, Imago voit quant à lui un personnage atteint de schizophrénie : « C’est ce qui apparaît lorsqu’il demande à Lord Henry ce qui a bien pu arriver à Basil, détaille-t-il. Selon moi, il ne se souvient même pas de l’avoir tué. C’est l’autre qui l’a fait. D’une certaine manière il oblitère la réalité. »

"Le Portrait de Dorian Gray", avec Léo d'Ux en rôle titre.

Léo d’Ux incarne Dorian Gray. © Julia Huber

Sur scène, le malheureux est incarné alternativement par deux comédiens, Léo d’Ux et Jean Poulet-Chays. Lors de la reprise, c’est le premier que j’ai vu à l’œuvre. Pour être parfaitement honnête, il m’a fallu un peu de temps pour accrocher à son jeu. C’est lorsque Dorian Gray commence sa descente aux Enfers que je me suis laissée convaincre. Le comédien dégage sur scène une aura perturbante. « C’est ce côté sombre m’a poussé vers lui, se souvient Imago. J’aime ce charisme du ‘beau-méchant’ qu’il dégage. » Un sourire un peu traître sur le visage, il attire l’œil. On attends le dérapage de Dorian Gray avec impatience. Et sa version a une puissance surprenante.

Autour de lui évoluent trois acteurs. Inès Maya (en bas, à gauche) et Vigdis Gondinet, qui se partagent les rôles féminins, et Imago, qui incarne tantôt Basil, Jim Vane et Lord Henry. La pièce s’ouvre sur Gladys, installée sur une méridienne. Je l’ai découverte, comme Lady Henry, sous les traits d’Inès Maya. Notez que Gladys tient de l’aristocrate élégante et contenue quand Lady Henry est une ahurie branchée sur le 220 volts. Et, évidemment, ces rôles s’enchaînent. Mais la comédienne se défends. Elle montre toute l’élégance et l’esprit attendue d’une femme de la haute-société anglaise avant de revenir en trombe, survitaminée, habitée par rire gênant et communicatif.

Vigdis Gondinet incarnant la comédienne Sybille Vane.

Vigdis Gondinet est Sybille Vane. © Julia Huber

Vigdis Gondinet s’est quant à elle illustrée dans les rôles de Sibylle Vane et d’Adrianna, deux victimes de Dorian Gray. D’abord en amoureuse (salement) éconduite puis en femme au bout du rouleau, elle donne beaucoup d’intensité à ses profils dont les espoirs ont été usés par le dandy, auxquels on s’attache. Quant à Imago, c’est par la diversité de son jeu qu’il s’illustre. Enchaînant parfois les rôles, il propose un Basil charmant, un Lord Henry irritant et un Jim Vane, touchant. J’avoue avoir une préférence pour Lord Henry, et son humour, peut-être un brin corrosif, qui a réussi à séduire les spectateurs.

Les Framboisiers proposent une adaptation qui laisse une large place à la chute de Dorian Gray, que l’on suit à travers Léo d’Ux, et un étonnant portrait. Installé bien en évidence, ce n’est pas une peinture. Réalisé par Basile Carel, il s’agit d’un portrait animé, qui se évolue au gré de la pièce. Imaginez ma tête quand, le temps de cligner des yeux, le portrait gagne des rides. Ca a de quoi perturber…

Retrouvez « Le Portrait de Dorian Gray » au Théâtre de l’Orme jusqu’au 16 juin.

@aleksduncan


Pour découvrir les autres photos de l’avant-première, rendez-vous sur le profil de Julia Huber, ou sur son Instagram.

2 thoughts on “Derrière le portrait”

  1. Salut 🙂
    Très intéressante cette représentation, merci pour cet article.
    J’aime beaucoup le coup du portrait changeant : comme tu dis, ce doit être perturbant ! génial.
    Je n’ai toujours pas lu ce classique mais j’ai de plus en plus envie de le faire. Je n’avais retenu que son côté arriviste et ambitieux d’après les cours de français du lycée, mais avec ces nouvelles versions (et notamment celle de la série Sabrina , que j’adore) le personnage a su me redonner envie de le connaître.

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