L'Antigone de Pascal Olive se tient à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, à la Libération

Antigone à Orléans

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Evénements, Spectacles

Le Mélo d’Amélie accueille depuis le 4 octobre l’Antigone de Pascal Olive et Françoise Odolant. Plongée en 1944, cette version du texte antique s’est créée malgré une année semée d’embûches.


Pour tous ceux qui, comme moi, seraient un peu à la traîne en matière de théâtre classique, Antigone est une pièce de Sophocle. C’est même une tragédie grecque, écrite en vers. Et ma dernière lecture du genre remonte au lycée. Honnêtement, elle n’était pas franchement volontaire… Bref, vous voyez d’où je suis partie.

Antigone n’est autre que la fille d’Œdipe et de Jocaste, la mère de ce dernier. C’est un peu dur à porter comme ascendance, nous sommes d’accords ! Mais le personnage a également une sœur, Ismène, et deux frères, Etéocle et Polynice. Et parce qu’il faut bien traumatiser cette génération aussi, ils vont tous les deux mourir, de la main l’un de l’autre.

Puisque Etéocle a défendu du côté de la Cité et de son roi, Créon, il gagne le statut de héros. L’autre frère ? Livré à la poussière et aux rongeurs. Rien de moins. Face à cette situation, Antigone s’insurge et décide d’aller l’enterrer. Le problème ? Elle y est allée alors que le geste est interdit et, en plus, a été vue. Mais, convaincue du bien fondé de sa décision, elle ne cèdera jamais devant Créon. Pas même face à une exécution. 

Maintenant qu’on a révisé les bases ensemble, placez l’intrigue à Orléans, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, et vous obtenez le texte de Pascal Olive, mis en scène par Françoise Odolant.

D’une Antigone à une autre

Le projet démarre lorsque Françoise Odolant sort d’un livre de Sorj Chalandron, “Le Quatrième Mur”, au cœur duquel se joue… Antigone, dans un Beyrouth en guerre. Une idée s’échappe du livre et lui reste à l’esprit :  c’est une histoire de terre et de fierté. Dans un autre genre, Julien Clerc, a également sa part de responsabilités.

L’écriture est confiée à Pascal Olive. Et c’est une autre Antigone qui va décider du cadre historique de la pièce : celle d’Anouilh, jouée en 1944. “Les frères qui s’entretuent, c’est encore plus fort dans ce cadre,” appuie Pascal Olive. L’auteur évoque “un moment de paroxysme” et un épisode encore contemporain pour le public. 

Antigone est incanée par Aline Berenguer
Antigone (Aline Berenguer) © Eric Delaneau – Image Business

Le casting pour cette nouvelle Antigone se termine en février. Dans le rôle-titre, Aline Berenguer. Grande blonde au cheveux bouclés, elle porte des yeux bleus la figure d’un personnage antique. Si elle est choisie au détour d’une audition, elle est pressentie dès l’écriture. Sa sœur, Ismène, est portée par Roxanne Joucaviel, qui représente un opposé parfait. Le personnage devient un négatif d’Antigone, plus concrète, plus vive et chaleureuse. 

Créon, qui est ici Maire d’Orléans, est incarné par Philippe Gendron. Eurydice est portée par Aurélie Luziau, qui donne vit sans efforts à ses vers. A priori bienveillante, Eurydice est d’autant plus intéressante qu’elle est pleine de nuances. Hémon, fiancé d’Antigone, prend vie grâce à Hugues Heron – qui passe d’un rôle à l’autre avec une facilité étonnante. 

Il faut imaginer que tous feront connaissance à travers Skype. Quand la préparation de la pièce démarre, la Covid-19 nous a déjà rattrapé et confiné. Les présentations, les lectures et les premières répétitions se font donc à distance. A la sortie du confinement, il faut faire avec le masque pendant les répétitions. “Il fallait respecter des craintes légitimes”, ajoute la metteure en scène. Avant d’atteindre le théâtre, elle héberge une partie des répétitions  Finalement, une résidence théâtrale à Orléans à la fin de l’Été leur apportera la touche finale. “Au premier filage, un truc très fort s’est passé”, raconte Aline. 

  • Hémon (Hugues Heron) Antigone © Eric Delaneau - Image Business
  • Antigone et Eurydice © Eric Delaneau - Image Business
  • Antigone, dans une scène crée par Françoise Odolant© Eric Delaneau - Image Business
  • Eurydice et Antigone © Eric Delaneau - Image Business
  • Eurydice, Antigone, Créon et Hémon © Eric Delaneau - Image Business

Idéal

Revenons justement  à Orléans. Parce que ce n’est pas tout à fait un hasard. La ville est un clin d’œil à Hiroshima mon amour, de Marguerite Duras. C’est là-bas que l’héroïne se fait tondre, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Un chapitre de la libération que la pièce ne contourne pas. Pour rendre un hommage le plus juste possible à ces femmes, Françoise Odolant a étudié la documentation de l’époque. La metteure en scène évoque l’ignominie de ces scènes et la “revanche de la lâcheté des hommes sur plus faibles qu’eux”. Un extrait poignant d’une parade de la honte est même intégré à la pièce. 

Inscrire Antigone dans un contexte politique, c’est à la fois brillant et prenant. La lecture de celle de Sophocle m’avait laissé avec l’impression d’un personnage absolu évoluant dans une réalité intangible. Une idée qu’on retrouve dans la version de Pascal Olive et Françoise Odolant. “Je voulais qu’elle soit folle, qu’elle ne soit pas raisonnable”, précise-t-elle.  Comme sa grande-sœur antique, elle est obnubilée par le sort de son frère et par ses idées. Elle se fiche de la politique et des tentatives de son entourage de la ramener. Elle se sait peut-être même perdue. 

© Eric Delaneau – Image Business

Quant au récit glorieux que le maire essaie d’écrire, ça ne l’intéresse pas plus. Antigone va jusqu’à faire des déclarations publiques compromettantes pour elle et pour sa famille. Son auteur ne peint pas vraiment un récit glorieux non plus. Sans proférer de jugements pour autant, il présente l’une des réalités de l’époque. Celles des résistants de la dernière heure et de ceux qui ont voulu continuer de vivre en tout temps, quitte à être cruels.

L’Antigone de Pascal Olive a une dernière particularité : son rapport à l’inceste. Une question qui n’est pas abordé dans les pièces de Sophocle et d’Anouilh. Ici, son ascendance lui ait jeté à la figure comme la malédiction dont elle serait victime. Quelques moments peuvent laisser planer le doute quant à la nature de son amour pour son frère, mais j’avouerais être restée bloquée sur mon image d’Antigone absolue. A tel point qu’elle finit elle-même part se transformer en idée, voire en idéal.

@aleksduncan

L’œil de Miss Jack

La transposition de l’intrigue dans la ville d’Orléans juste après la Libération est une idée brillante. Le frère honni devient le symbole d’un passé qu’on s’empresse d’enterrer pour mieux écrire un roman national. L’auteur ose également aborder le sujet difficile des femmes tondues qui ont, à la libération, littéralement servi de défouloir collectif. La vue des images d’archives m’a bouleversée. J’ai cherché à croiser le regard de ces femmes humiliées comme si, à travers le temps, je pouvais leur envoyer quelque chose. 

J’ai beaucoup aimé les monologues d’Antigone, portés par une belle performance de l’actrice. Un grand bravo à Ismène que j’ai trouvée très juste, dans l’émotion. J’ai passé un très bon moment devant cette pièce qui m’a emplie d’émotions. Je note un tout petit bémol sur le personnage de Créon, dont je déplore un peu le manichéisme.

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