Le 25 octobre dernier, Au revoir là-haut, réalisé par Albert Dupontel, s’installait dans les salles. Adapté du roman éponyme de Pierre Lemaître, le film nous ramène avec poésie et mordant à la fin de la Première Guerre Mondiale en suivant la vie de deux soldats français.

© Gaumont Distribution
Albert Maillard et Edouard Pericourt n’ont que peu en commun, si ce n’est d’avoir été embarqués dans une histoire qui les dépasse. Maillard est un ancien comptable tranquille et discret. Pericourt, plus jeune, est un dessinateur fantasque et un brin taquin. Comme tous les autres, ils attendent la fin de la guerre, apportée par la rumeur.
Mais tous ne l’entendent pas comme ça, à l’image du Lieutenant Pradelle, belliqueux devant l’éternel. Edouard, Albert et leurs compagnons se trouvent ainsi contraints de retourner sur le champs de bataille. Et ce mouvement aurait bien pu être leur dernier s’ils ne s’étaient pas trouvés côté à côte. Dans un élan de solidarité fraternelle, Edouard tente de venir au secours de son camarade en difficulté. Ce qui lui coûtera cher et le liera à Albert, pour le meilleur et pour le pire.
Blessures de guerre
Le film d’Albert Dupontel raconte l’histoire d’un retour difficile. Celui des soldats à leurs vies. S’ils en ont évidemment rêvé, la réalité présentée ici est amère. L’absence des soldats a été longue et la vie des proches, à l’arrière, a parfois continué sans eux. Mais eux aussi ont changé. Il leur faut vivre avec les traumatismes plus ou moins visibles de la guerre, que le monde voudrait plutôt oublier. Ces hommes doivent ainsi s’habituer à un monde au sein du lequel, à l’image de Maillard, on ne les aide pas toujours à se réintégrer.

© Jérôme Prébois / ADCB Films
Et puis il y a la question des blessures. Celle des « gueules cassées » avec lesquelles il faut vivre. Réapprendre à se regarder, avant d’aller faire face au monde. Dominer la peur de faire peur, à la manière d’Edouard et ses milles et uns masques élégants et loufoques. Il y a aussi tous ces corps marqués, qu’on ne veut pas voir, mais qu’il faut soigner et apaiser, avec ou sans morphine. Si j’entends bien que ces difficultés sont connues des livres d’Histoire, le cinéma permet néanmoins d’incarner les épisodes d’une époque dont le spectateur se trouve parfois éloigné par le temps. Ce qu’Albert Dupontel réussit à faire avec justesse.
Beauté mordante
L’une des forces de ce film réside dans sa galerie de personnages. Chacun porte un type et une identité forte sans tirer sur les clichés. Cette identité est notamment marquée par les costumes. Albert Maillard, interprété par Albert Dupontel, a par exemple quelque chose de timide et d’attachant, et ce particulièrement dans des complets pas toujours bien adaptés. Edouard, joué par Nahuel Perez Biscayart, semble sortir tout droit d’un conte, avec ses masques fantastiques et inquiétants et sa gestuelle souple et princière, trace de son éducation privilégiée. Sans oublier les tenues léchées et sensiblement clinquante d’un Pradelle arriviste et manipulateur.

© Jérôme Prébois / ADCB Films
Tous ces personnages sont portés par des acteurs talentueux qui, par un jeu expressif et sensible, parviennent à disparaître derrière leurs personnages et à incarner, au moyen d’un parler joliment suranné, une époque avec justesse. Et à bas l’idée de personnages purement gentils ou méchants. La construction du film laisse une fenêtre à l’appréciation. On se surprend simplement à se prendre d’affectation ou de détestation pour des personnages humains qui se reconstruisent de manière plus ou moins extravagante.
Ces visages participent ainsi à la création d’un univers poétique porté par une musique qui se trouve être à propos. Elle offre ici une dimension supplémentaire au film, mettant en valeur différentes scènes avec finesse tout en y ajoutant une atmosphère de la plus douce à la plus dramatique. Le cadrage y est lui aussi pour beaucoup. Il offre une manière très intime de lire ce film et le parcours de ses personnages.
Au revoir là-haut réussit à parler d’Histoire sans en avoir l’air et arrive à marquer les esprits avec un film soigné et réfléchi à tous points de vues. Je suis sortie du cinéma avec une petite mélancolie. De l’ordre celle que l’on attrape lorsque l’on doit s’échapper d’un univers dans lequel on ne s’était pas senti entrer.
Au revoir là-haut,
Réalisé par Albert Dupontel
En salle depuis le 25 octobre 2017
En-tête : © Jérôme Prébois / ADCB Films