Jun est un personnage échappé de l’esprit de Guillaume Singelin. Héroïne de sa bande-dessinée « P.T.S.D », publiée au Label 619 d’Ankama, on la suit à son retour du front. Un retour amer et solitaire, beaucoup de vétérans ayant été abandonnés à leurs sorts après la guerre.
Dans une ville inspirée des lignes tokyoïtes, Jun survit au jour le jour. Ancienne militaire, elle est vétérane de la Guerre du Nord dont elle est sortie sévèrement blessée physiquement et moralement. Depuis son retour, elle partage sa vie avec un état de stress post traumatique, ou P.T.S.D. Et comme la plupart de ses compagnonnes et compagnons d’armes, elle a été oubliée par le gouvernement, qui n’a pas pris en charge ses soldats après la guerre. Au hasard des rues, tous survivent entre ruse et trafic de médicaments pour calmer les cauchemars et les douleurs.
Sans domicile fixe, grignotée par ses blessures physiques et par l’anxiété, Jun en veut à l’armée et à la société pour laquelle elle a combattu mais qui la laisse aujourd’hui de côté. Seule face aux démons qu’elle rapporte du front, elle se lance dans un autre combat : celui de retrouver à tous prix un calme intérieur, une place dans le monde et un avenir qu’elle espère meilleur.
Au-delà de l’uniforme
« P.T.S.D. » raconte la reconstruction difficile qui accompagne les militaires revenant à leurs vies, leurs bagages alourdis de souvenirs. Le personnage de Jun, tout en reliefs, se fait la voix d’une douleur méconnue. Sur la défensive, perdue, la jeune femme semble se noyer doucement dans la solitude. Dotée d’une grande force, l’ex-soldate est habitée par des souvenirs avec lesquels elle ne sait que faire et qu’elle exorcise comme elle peut.
Au fil des pages, on suit son combat titanesque contre les stigmates que la guerre lui a laissé. Les flash-backs, qui complètent l’histoire de plusieurs vétérans, lui donnent une autre profondeur. En découvrant qui elle était et ce qui a mené à sa situation, on mesure mieux le chemin qu’elle et tous les autres ont parcouru. Surtout, on pèse toute l’injustice dont ils sont victimes.
Mais cette histoire est aussi porteuse d’espoir, à travers le personnage de Leona. Civile, propriétaire d’un restaurant de quartier et mère d’un petit Bao, elle brille par sa sympathie et sa générosité. En faisant la connaissance de Jun, elle va vivre un éveil brutal. Par sa remise en question, Leona incarne un point de vue complémentaire, une fraîcheur nécessaire mais surtout une solidarité potentiellement contagieuse.
Des paysages vertigineux
Difficile de passer à côté de la minutie dont l’auteur fait preuve. Graphiquement d’abord. Tous ses personnages bénéficient d’une certaine prestance, leur habillement est riche en textures et en couleurs. Le trait arrondi, qui tranche parfois avec la dureté des scènes, crée des personnages attachants, à l’image de Bao ou du fidèle Red.
Quant aux horizons urbaines ou naturelles, elles donnent le vertige par leur grandeur. La ville est dynamique et fourmille de détails. Sur ses immenses immeubles, dans ses petites rues ou ses boutiques, il y a de la vie. On y devine un brouhaha ambiant. Singelin construit également, en travaillant sur les couleurs, des atmosphères tantôt douces, tantôt inquiétantes qui vous immergent dans le cours des événements. C’est aussi par la couleur qu’il souligne les flash-backs, cauchemars et autre souvenirs.
L’auteur, marqué par les films de guerre et de combat, a abattu un travail de recherche certain. Une finesse qui se ressent dans le scénario et la construction des personnages. De même, la ville propose différents profils de vétérans. On rencontre des hommes, des femmes, jeunes ou plus âgés, fluets ou tassés, ce qui apporte à l’histoire une dose de crédibilité supplémentaire. D’une violence parfois dure, « P.T.S.D. » rend hommage à des centaines de femmes et d’hommes en faisant, avec justesse, la lumière sur une atteinte méconnue.