Dans le dernier roman de Jean Lods, le héros crève l’écran (littéralement) et l’auteur la narration. Contes de cinéma est un roman riche et surprenant, qui plaira particulièrement aux cinéphiles.
Colin est un as de la retouche, un pro du clic et un fada de films. C’est même l’un des grands noms de l’Institut, où il passe ses journées à retoucher les bobines qui ont été grignotées par le temps. Bien conscient de ses talents, Colin se réserve des largesses. Il forme son assistante, qui trafique ensuite ses comptes-rendus. Car Colin a ses têtes et ses films. Il n’accorde ni le même temps ni le même soin à tous ses patients. Sans compter son penchant pour des films parfois hors du circuit et absolument pas rentables. Pour pouvoir continuer à s’accorder ces plaisirs , il faut équilibrer les comptes.
Comme toutes les bonnes choses ont une fin, un nouveau directeur est nommé avec une mission : faire des économies. Il faut maintenant parier sur l’avenir et sur les films qui se vendront, quitte à brider ses propres passions et vivre comme un vautour sur l’épaule de Colin. Malgré tout, celui-ci va réussir à se pencher sur un film hors courses, « Une Partie de campagne », de Renoir. A force de minutie, il crée une connexion avec sa bobine jusqu’à passer de l’autre côté de l’écran et intégrer l’histoire. Pendant ce temps, il se joue dehors une bataille entre sauvegarde du patrimoine et règne absolu de la technologie.
Entremêlements narratifs
C’est l’histoire de cet homme qui s’incruste dans son film favori à force de le regarder qui a su me donner envie. Même si je ne suis pas particulièrement cinéphile, faire un tour dans les fichiers d’Harry Potter ou d’Inception me dirait bien. Du reste, les histoires passionnées ont un pouvoir. Elles sont contagieuses. Colin cumulant les passions artistiques et sentimentales, on s’attache au personnage. D’autant plus que les pages de Lods offrent une vue plongeante sur les errances et les pensées de toute la troupe, l’auteur disparaissant parfois derrière des personnages truculents.
Ceci étant dit, la vision des personnages s’associe à des descriptions longues comme le bras et aux interventions de l’auteur. Résultat, la lecture est parfois alourdie. Si je n’ai rien contre des phrases qui auraient fait pleurer Balzac, les commentaires m’ont laissé perplexe, avec l’impression désagréable d’avoir été interrompue. J’assume être une lectrice un peu raide, à ce sujet. Comme ces gens qui ne veulent pas qu’on leur parle au cinéma, je n’aime pas être sortie des intrigues, à moins d’avoir une très bonne raison. A côté de ça, son usage artistique de la ponctuation m’a demandé un temps d’adaptation inattendu.
Toute indigestion de caractères mise à part, l’univers dessiné est percutant. Tous ces personnages ont du relief, des fêlures ou des passions inassouvies qu’on apprends à connaître. L’intellectuel a des tendances cyniques, la patron se fait larguer par son chat et l’assistante revancharde rend un crochet du gauche aux emmerdeurs. On s’identifie à eux de par leur honnêteté et on continue de les suivre pour leur ténacité.
Quant à la dimension fantastique, elle est attendue mais amenée avec souplesse. C’est un virage de plus dans leur existence. D’ailleurs, elle possède ses propres lois et ses limites. Colin n’est ni surpuissant ni magicien et, dans les films comme dans sa vie, on récolte ce que l’on sème.